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Pour le futur gouvernement Barnier, l’intenable équation budgétaire

Bruno Le Maire et Michel Barnier en 2009

Il est toujours bon d’avoir des amis à Bruxelles. Le nouveau premier ministre français n’en manque pas, lui qui a exercé deux mandats en tant que commissaire européen, dont le second comme vice-président de la Commission, sans compter la mission dont il est particulièrement fier, la négociation avec Londres des conditions du Brexit.

A peine nommé le 5 septembre par Emmanuel Macron, Michel Barnier a donc ouvert son épais carnet d’adresses pour appuyer son souhait de voir reportée de quelques semaines une échéance imposée à la France. Car théoriquement, Paris devait transmettre à l’exécutif européen le 20 septembre son plan visant à remettre les finances publiques françaises sur le droit chemin. Avec six autres pays, la France est en effet visée par une « procédure de déficit excessif » déclenchée fin juillet.

Nul doute, donc, que M. Barnier obtiendra de ses anciens collègues un délai de grâce en faisant valoir qu’il vient à peine d’entrer en fonction et que son gouvernement n’est pas encore formé.

A l’évidence, le travail sur les recettes et les dépenses de l’Etat constituera la priorité la plus cruciale pour le nouveau cabinet. A court, moyen, et long termes. Car si Bruxelles se montre flexible sur la date butoir, il n’en ira pas de même quant à la nature et à l’ampleur des mesures visant à revenir aux critères budgétaires imposés.

A court terme, le déficit public prévu pour 2024 se trouve sur la pente de 5,6% du Produit intérieur brut (PIB), selon la direction du Trésor, soit 0,5% de plus que prévu en début d’année. Aux 10 milliards de coupes dans les dépenses annoncés en février devraient s’ajouter au moins 16 milliards pour que la « dérive des comptes publics » ne s’aggrave pas, selon les conjoncturistes favorables à l’austérité.

En outre, l’élaboration du budget 2025 devrait s’avérer un casse-tête. Le projet doit être transmis au Parlement le 1er octobre. On évoque de nouvelles restrictions à hauteur de 30 milliards d’euros – un niveau intenable socialement, dans un pays où la dégradation des services publics s’est accélérée ces dernières années ; et complexe politiquement, puisque l’Assemblée nationale élue le 7 juillet dernier est plus éclatée que jamais, donc peu susceptible de voir une majorité se dégager en faveur de mesures forcément impopulaires.

A long terme enfin, le président s’est engagé à revenir en deçà des 3% de déficit (une obligation européenne) à l’horizon de la fin de son quinquennat, c’est-à-dire en 2027. C’est précisément cette feuille de route qu’attend Bruxelles. Car les pays de la zone euro sont tenus de respecter à nouveau le Pacte de stabilité.

Le PIB français devrait baisser au dernier trimestre, ce qui va plomber la croissance pour 2024 vers un rachitique 1%

Ce dernier avait été suspendu pendant la période Covid, puis réformé au sortir de celle-ci. La nouvelle version laisse plus de délais aux Etats membres pour revenir dans les clous, mais en échange de la mise en œuvre de « réformes structurelles » (retraites, marché du travail,…) ; elle prévoit également des sanctions plus faciles à imposer par Bruxelles. Pour la France, l’amende, 0,1% du PIB par an, avoisinerait 2,6 milliards d’euros. Ce qui confirme que le Pacte de stabilité n’a rien de facultatif contrairement à ce que laisse entendre le programme du « Nouveau front populaire » (gauche) qui affirme vouloir refuser de s’y plier, sans pour autant envisager de quitter l’Union européenne…

Si l’on accepte ce cadre contraint (que ni M. Macron, ni M. Barnier ne remettent évidemment en cause), deux pistes se présentent : des hausses d’impôts ou des baisses de dépenses, voire une combinaison des deux. La première piste est contraire à la ligne que le président a annoncé vouloir tenir depuis son entrée à l’Elysée ; pas question en particulier, pour ce dernier, d’effleurer les grandes fortunes – qui ont globalement plus que doublé depuis 2017, ni de déplaire au monde des affaires, banques et multinationales. Restent les coupes budgétaires, dont la répétition, année après année, saigne le pays à blanc.

On pourrait miser sur la croissance, autrement dit produire plus de richesses, ce qui apporterait de l’oxygène budgétaire (recettes sociales et fiscales en hausse). L’objectif, revendiqué de longue date par le président, est louable. Mais dans les faits, la politique de ce dernier, fidèle aux dogmes de l’Union européenne, aboutit au résultat inverse : là où il faudrait massivement investir dans le travail (salaires, qualifications, protection sociale…), Emmanuel Macron s’accroche à ce que les économistes libéraux nomment « la politique de l’offre », autrement dit les mille et uns cadeaux aux grandes entreprises – allègements fiscaux, subventions, déréglementations – en feignant de croire que celles-ci vont investir en retour.

Ce qui n’est nullement le cas. Au contraire, ces largesses se transforment bien souvent en dividendes improductifs, voire en rachat d’actions.

Et la croissance stagne, ou même plonge. Le PIB français devrait baisser au dernier trimestre, ce qui va plomber la croissance pour 2024 vers un rachitique 1%, au mieux. L’Allemagne, quant à elle, devrait même se retrouver en récession cette année. Et au sein du reste de la zone euro, les perspectives ne sont guère plus brillantes : à peine 0,8% prévu cette année (contre 3% attendus aux Etats-Unis).

« Nous allons mettre l’économie russe à genoux » avait fièrement annoncé Bruno Le Maire en mars 2022

Outre les règles et dogmes mortifères de l’union monétaire, qui sont des facteurs structurels, de nombreuses raisons conjoncturelles expliquent ce fiasco. Parmi celles-ci figure le coût de l’énergie. Ce dernier a joué un grand rôle dans l’inflation qui a suivi la période Covid. Et a notamment poussé de nombreuses multinationales à délocaliser, ou à prévoir de le faire, certaines de leurs productions vers des pays où les prix du pétrole et du gaz sont beaucoup plus cléments. En particulier vers les Etats-Unis, où ils sont deux à trois fois moindres que sur le Vieux continent.

Aucun hasard à cela. Dès le début de la guerre en Ukraine, les dirigeants européens ont proclamé haut et fort leur volonté de punir la Russie à travers des vagues de sanctions. Ils ont ainsi décidé de boycotter totalement le pétrole et largement le gaz russes. Et comme il a bien fallu se fournir ailleurs, les cours mondiaux des hydrocarbures ont fait des bonds.

Washington a poussé d’autant plus vivement les Vingt-sept à stopper leurs approvisionnements russes que les Etats-Unis ne se fournissaient pas en hydrocarbures de ce pays, n’en dépendaient donc nullement, et se retrouvaient même désormais en heureux exportateurs de gaz naturel vers leurs amis européens – à prix majorés.

Autrement dit, les sanctions européennes contre Moscou ont largement contribué au désastre économique des pays de l’UE, tout en enrichissant l’Oncle Sam…

Quant au Kremlin, il peut se prévaloir d’une production plutôt en surchauffe car dynamisée notamment par le secteur de l’armement, et se réjouir d’avoir trouvé de nouveaux clients, à l’Est et au Sud, pour ses hydrocarbures naguère exportés vers l’UE.

« Nous allons mettre l’économie russe à genoux » avait fièrement annoncé, en mars 2022, le ministre français de l’économie. Deux ans et demi plus tard, Bruno Le Maire (à gauche sur la photo en 2009, lorsqu’il succéda à Michel Barnier, au centre, comme ministre de l’agriculture) fait partie du gouvernement sanctionné par les électeurs en juin dernier. Il cherche désormais un emploi, et devrait décrocher un poste d’enseignant à Lausanne.

Les Suisses n’avaient pas mérité cela…

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