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L’europarlement s’estime juge de toute la planète – ou presque

Parlement européen

Avec le parlement européen, on n’est jamais déçu. Fraichement élus (mal élus, avec près de 50% d’abstention en moyenne) en juin dernier, les nouveaux eurodéputés n’ont pas tardé à poursuivre la tradition et les prouesses de leurs prédécesseurs.

Faute de disposer d’une quelconque légitimité – puisqu’il n’existe pas de peuple européen – l’Assemblée de Strasbourg tente de compenser ce manque en se proclamant référence morale universelle et juge suprême des droits de l’Homme pour le monde entier. L’auguste institution distribue bons et (surtout) mauvais points à travers la planète. Elle condamne ici un gouvernement, accuse là un Etat, exige là-bas des sanctions contre un dirigeant. Elle tance, morigène, stigmatise à tour de bras.

Rien n’est de trop pour conforter les europarlementaires dans l’idée qu’ils servent à quelque chose, et que l’univers entier a les yeux rivés sur Strasbourg. La session qui s’y est déroulée le 19 septembre a, à cet égard, battu un plaisant record.

Le résumé donné par le service de presse l’illustre. Il fournit quelques uns des titres des résolutions adoptées. « Venezuela: les députés reconnaissent Edmundo González Président » ; « l’Ukraine doit être en mesure de frapper des cibles militaires légitimes en Russie » ; « violations des droits humains en Afghanistan, au Bélarus et à Cuba ». (On apprend également que « le Parlement réagit aux récents événements météorologiques extrêmes en Europe », estimant sans doute que même les dieux du ciel ne doivent pas échapper à sa juridiction).

Il n’est pas inutile de préciser les griefs et les exigences formulés dans le premier texte, approuvé par 309 voix (contre 201 et 12 abstentions). La résolution « reconnaît » le candidat de l’opposition vénézuélienne comme président « légitime et démocratiquement élu », contredisant ainsi la commission électorale de ce pays ; et demande que l’UE fasse tout « pour qu’Edmundo González Urrutia puisse prendre ses fonctions le 10 janvier 2025 ».

En particulier, elle exhorte l’UE à « rétablir les sanctions à l’encontre des membres du Conseil électoral national (et…) demande la prolongation des sanctions (…) à l’encontre de (l’actuel chef de l’Etat) Nicolas Maduro et de son cercle rapproché ».

L’Assemblée se prononce donc pour que les dirigeants européens renouvellent l’attitude des Occidentaux en 2019, qui avaient reconnu le « président » autoproclamé Juan Guaido, issu des rangs de l’opposition, après que celle-ci eut affirmé le « vide de pouvoir » – une assertion que Donald Trump, alors à la Maison-Blanche, n’avait pas mis un quart d’heure à partager.

Cette stratégie avait tourné au fiasco. A Washington comme à Bruxelles, de même qu’à Paris et à Berlin, il fallut constater, au fil des années, que l’opposant était loin de jouir du soutien populaire, et que ses institutions alternatives étaient en carton-pâte. D’où un plus grand réalisme aujourd’hui… sauf à Strasbourg.

Les Torquemadas de l’europarlement regardent ailleurs

Tous ces moulinets pourraient n’être que risibles si le contraste n’était pas saisissant avec un assourdissant silence : les nouveaux eurodéputés n’ont pas encore trouvé un instant pour voter sur le Moyen-Orient.

Faut-il rappeler que, depuis octobre 2023, plus de 40 000 habitants de la bande de Gaza ont perdu la vie du fait des bombardements israéliens ? Encore le nombre de morts dans cette prison à ciel ouvert est-il largement sous-estimé : si l’on inclut les décès consécutifs à la disette délibérément organisée par l’occupant, aux maladies, à la privation de la plus élémentaire hygiène, ce décompte apocalyptique pourrait dépasser les 100 000. Et cela sans compter les blessés, dans ce territoire où les hôpitaux sont prioritairement visés et ont pour la plupart cessé de fonctionner – de même que les écoles.

Plus du quart des victimes sont des enfants. Parmi ceux qui survivent, des milliers, y compris en bas-âge, n’ont plus aucune famille. « C’est une guerre contre les enfants et leur avenir », s’était ému le chef de l’agence de l’ONU pour les réfugiés (UNRWA). Philippe Lazzarini précisait dès le 12 mars dernier : « le nombre d’enfants présumés tués en seulement quatre mois à Gaza est plus élevé que le nombre d’enfants tués en quatre ans dans l’ensemble des conflits à travers le monde ».

Le massacre ne concerne pas que les humains ; il inclut la destruction systématique des musées, des universités, de la culture, bref, de ce qui fait les racines et l’avenir d’un peuple. Tout cela a probablement échappé aux eurodéputés, du moins à la majorité d’entre eux. Tout comme l’emprise coloniale à laquelle est soumise la Cisjordanie, de manière désormais accélérée, moyennant des centaines de victimes en quelques mois.

Mais peut-être estime-t-on à Strasbourg que les Palestiniens ne sont que des « animaux humains » selon les termes élégamment employés par le ministre israélien de la Défense il y a un an ? Le pensent-ils également des Libanais, désormais eux aussi dans le viseur de l’armée de Tel-Aviv ?

Car l’offensive sur le « front nord » d’Israël fait désormais des centaines de morts chaque jour. Elle vise officiellement à contrer le Hezbollah, et avait connu un premier tournant lorsque l’explosion des appareils de communication piégés des militants de cette organisation avait tué des dizaines de ceux-ci, non sans faire de nombreuses victimes parmi la population.

En d’autres lieux, cette stratégie eût été qualifiée de « terroriste ». Elle eût attiré les foudres des Torquemadas de l’europarlement. Pour l’heure, ceux-ci regardent ailleurs. Toute honte bue.

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