La perspective de trois élections nationales d’ici la fin de l’année commence à donner des sueurs froides aux partisans de l’intégration européenne : le 30 septembre en Slovaquie ; le 15 octobre en Pologne ; et le 22 novembre aux Pays-Bas.
Dans ce dernier pays, il s’agira d’un scrutin anticipé : une crise politique a causé, le 7 juillet dernier, la chute du gouvernement dirigé par le Libéral Mark Rutte – à la tête de son pays depuis 2010 – et l’éclatement de la coalition qui associait aux Libéraux les chrétiens-démocrates, le D66 (sociaux-libéraux) et un parti de fondamentalistes protestants.
A Bruxelles, on regarde toujours avec inquiétude ce petit pays fondateur de l’UE, où le peuple rejeta massivement le projet de constitution européenne en 2005, puis un traité Ukraine-UE en 2016. Les Pays-Bas ont également connu le succès – souvent éphémère – de partis critiques vis-à-vis de l’Union européenne. Ce fut par exemple le cas lorsque Geert Wilders, classé populiste, obtint 15% des voix en 2010. Aujourd’hui, celui-ci a tempéré (un peu) son langage anti-islam, et certains font l’hypothèse d’une alliance d’une alliance de son parti avec les Libéraux, car ces derniers ont de leur côté durci leur politique sur l’immigration. C’est du reste sur ce dernier point que la coalition sortante a explosé, les partenaires de M. Rutte refusant de le suivre sur cette voie.
Mais le danger pour les partisans de l’UE vient cette fois d’ailleurs. Il remonte à 2019, quand le gouvernement annonça un plan visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, notamment en planifiant des coupes drastiques dans l’élevage bovin. Depuis lors, la colère des agriculteurs menacés de disparition, et parfois harcelés par des groupes tels qu’« Extinction Rebellion », n’a cessé de croître. Et ce, à l’unisson d’une partie de la population, attachée à ce pan essentiel de l’économie néerlandaise, et lasse des oukases judiciaires condamnant le gouvernement à en faire toujours plus en matière de climat.
Au point de provoquer un tremblement de terre lors des élections régionales du 15 mars dernier : un groupe totalement nouveau, baptisé Mouvement agriculteur citoyen (BBB), fait irruption. Avec près de 20% des suffrages, il terrasse tous les partis traditionnels, y compris celui du premier ministre arrivé en deuxième avec… 11% des voix. Fondé et dirigé par une novice complète en politique, le BBB passe de zéro à 137 sièges régionaux. Dans les mois qui ont suivi, les intentions de vote en sa faveur en vue de novembre ont dépassé les 30%, avant de revenir à des niveaux un peu plus modestes.
Mais un point ne fait guère de doute : le mouvement opposé aux surenchères écologiques est désormais incontournable. Son score sera d’autant plus scruté que la gauche social-démocrate et les Verts ont décidé de faire alliance, et ont désigné Frans Timmermans (photo) comme chef de file. Ce dernier n’est autre que le premier vice-président de la Commission européenne (il vient d’en démissionner pour mener la bataille électorale), responsable du « Green Deal » bruxellois, et défenseur des mesures les plus radicales « pour sauver la planète ».
La Pologne (comme la Hongrie) est toujours sous le coup de sanctions et de procédures lancées par la Commission européenne
Les questions environnementales ne seront pas tout à fait absentes de la campagne électorale en Pologne. Ne serait-ce que parce que le gouvernement sortant, dirigé par le PiS (Droit et Justice, droite nationaliste), a menacé de traîner les plans environnementaux de Bruxelles devant la Cour européenne. Varsovie avait jusqu’à présent toujours rudement négocié lesdits plans, qui prévoient une réduction drastique du charbon, pilier de l’économie nationale, mais les avait toujours acceptés.
Ce n’est là qu’un des très nombreux litiges avec Bruxelles. La Pologne (comme la Hongrie) est toujours sous le coup de sanctions et de procédures lancées par la Commission européenne : cela vaut pour l’environnement, mais aussi le respect de « l’Etat de droit », l’indépendance de la justice et la liberté des médias – autant de griefs qui ont jusqu’à présent bloqué le versement du moindre centime en provenance du « plan de relance européen » décidé en 2020 pour un montant de 750 milliards d’euros
En duo avec Budapest, Varsovie conteste également le plan d’accueil des réfugiés adopté à la majorité des Etats membres en juin dernier. Là encore, la politique migratoire constitue un point de friction sensible. A Bruxelles, on souhaite sûrement la victoire de l’opposition constituée autour de PO (Plateforme civique, droite libérale), menée par l’ancien président du Conseil européen, Donald Tusk. Une hypothèse pas exclue, mais peu probable à ce jour.
A défaut, il faudrait se résigner à continuer à vivre avec un pays dirigé par le PiS, qu’il faut en outre ménager. Car si la Pologne donne du fil à retordre à ses partenaires européens sur bien des plans, elle est aussi un modèle d’intransigeance anti-russe, et se prévaut d’être « sur la ligne de front » et championne de l’aide au pouvoir ukrainien. Dans ces conditions, il est difficile de pousser trop loin les querelles.
Les élections en Slovaquie pourraient défaire l’ancrage anti-russe du pouvoir sortant
A l’inverse, les résultats des élections en Slovaquie pourraient défaire l’ancrage anti-russe du pouvoir sortant. Celui-ci est particulièrement instable : le pays a connu pas moins de trois premiers ministres depuis les élections de 2020. A l’issue de ces dernières, une coalition hétéroclite s’était formée avec pour seul mot d’ordre de battre le Parti social-démocrate sortant (SMER-SD).
Son chef, Robert Fico, dont les positions critiques vis-à-vis de l’UE étaient comparables à celles du Hongrois Viktor Orban, dominait et clivait la scène politique. Mais M. Fico avait été contraint à la démission en 2018, après l’assassinat d’un journaliste lanceur d’alerte. Son gouvernement avait été soupçonné de complicité.
Olano, un mouvement auto-proclamé anti-corruption, sans existence politique préalable, avait, lors du scrutin de 2020, porté à la tête du pays un dirigeant novice et autoritaire, qui a vite été contesté dans son propre parti et parmi ses alliés. Une période de confusion politique extrême s’en est suivie, qui a finalement débouché sur l’annonce du scrutin du 30 septembre.
SMER-SD a tiré parti de cette évolution et a à nouveau le vent en poupe. Les sondages lui accordent désormais plus de 20% des suffrages. Un niveau pas tout à fait suffisant pour conquérir une majorité de sièges, en alliance à nouveau avec deux ou trois partis eurosceptiques, généralement classés à droite et à l’extrême droite (une coalition qui déplairait infiniment aux sociaux-démocrates européens auxquels SMER-SD est encore affilié).
En face cependant, les différents partis n’ont en commun que leur fidélité à l’ancrage atlantique et au soutien armé à l’Ukraine. Mais sur les plans économique, social, ou sociétal, une coalition anti-Fico aurait du mal à trouver une cohérence.
Robert Fico semble compter sur les Slovaques qualifiés de « pro-russes », soit une partie non négligeable de l’électorat (plus d’un tiers selon les sondeurs). Il accuse les sanctions contre Moscou de nuire à l’économie et à la population, plaide pour la souveraineté du pays, et avait même comparé les militaires de l’OTAN qui y stationnent aux soldats de la Wehrmacht… Autant dire qu’une victoire de SMER-SD sèmerait une certaine panique à Bruxelles.
Immigration, environnement, rapports avec la Russie : quels que soient les résultats des élections dans ces trois pays, les sujets au cœur des débats sont précisément les plus explosifs pour Bruxelles…