Deutsch

Portugal : vers un gouvernement de droite minoritaire

Antonio Costa

Le 10 mars, les 11 millions d’électeurs portugais étaient appelés à renouveler leur parlement. Les votes des Portugais de l’étranger n’ont pas encore été consolidés, mais ils ne devraient pas modifier les tendances.

Ce troisième scrutin en moins de cinq ans a été marqué par une forte augmentation de la participation : cette dernière s’est établie à 66,2%, un niveau certes modeste, mais à comparer aux 51,4% de janvier 2022, ou aux 48,6% d’octobre 2019.

Le grand perdant du scrutin est le Parti socialiste (PS), qui doit se contenter de 28,7% des suffrages, soit un plongeon de 13,8 points par rapport à son score de 2022. Une chute qui ne constitue pas une surprise, puisque le premier ministre issu de ses rangs, Antonio Costa (photo), avait été contraint de démissionner en novembre dernier (tout en continuant à expédier les affaires courantes) en raison d’un nouveau scandale de corruption ayant touché son proche entourage politique.

Son chef de cabinet est en détention pour une affaire d’appels d’offres dans le secteur minier. Quelques mois auparavant, un autre scandale avait accompagné la privatisation de la compagnie aérienne nationale. Dans ces conditions, le chef de l’Etat, issu de la droite, avait choisi de convoquer les électeurs plutôt que de laisser le PS choisir un successeur à M. Costa.

Ce dernier dirigeait le pays depuis 2015, d’abord à la tête de gouvernements minoritaires mais soutenus au cas par cas par deux alliés à sa gauche jusqu’en 2022 ; puis comme chef d’un cabinet s’appuyant sur une majorité absolue depuis cette date.

Son grand rival de droite, le Parti social-démocrate (le mal nommé PSD), ne tire pas profit de la déconfiture socialiste. L’Alliance démocratique (AD), qui l’associe à un parti plus à droite (le CDS-PP) ainsi qu’à un petit parti monarchiste (PPM), dépasse certes le PS avec 29,5% des voix, mais perd 2 points par rapport au scrutin précédent ; surtout, l’AD ne dispose pas d’une majorité parlementaire, même si elle s’adjoint l’Initiative libérale (5,1 %, stable).

Pour sa part, le PS, même s’il le voulait, ne pourrait plus compter sur ses deux alliés de 2015 pour espérer former une coalition : le Parti communiste obtient 3,3% (- 1,1 point), et le Bloc de gauche (gauche dite « radicale ») 4,5% (stable), qui n’obtiennent que quatre et cinq députés.

Les Portugais sont confrontés à des difficultés économiques et sociales communes à tous les pays de l’UE

Cette situation où les forces politiques traditionnelles perdent est liée à l’émergence d’un nouveau parti, Chega (« assez ! »), classé à l’extrême droite et emmené par un ancien commentateur sportif charismatique, André Ventura, qui maîtrise parfaitement les réseaux sociaux. Porté notamment par de nombreux jeunes électeurs et les anciens abstentionnistes, Chega a réussi à rassembler 18,1% des votants, soit un gain impressionnant de 10,7 points en deux ans. En 2019, il ne pesait que 1,3% des suffrages.

Cette percée électorale s’explique bien sûr par les slogans anti-corruption qui ont fait mouche dans le contexte des scandales récents. M. Ventura n’a cessé de répéter qu’il voulait « nettoyer » le Portugal. Un pays dans lequel l’ancien premier ministre socialiste José Socrates, en fonction pendant les années de crise (2005-2011) est toujours inculpé dans de sombres affaires de l’époque.

Mais en réalité, les raisons de la colère électorale sont plus profondes. Les Portugais, dans leur grande majorité, sont confrontés à des difficultés économiques et sociales communes à tous les pays de l’UE : l’inflation récente a durement affaibli le niveau de vie d’une large part de la population ; pour beaucoup, se loger est devenu un casse-tête avec des loyers qui s’envolent (les prix des logements ont augmenté de 11,8% en 2023) ; l’accès à la santé et à l’éducation s’avère de plus en plus problématique. La cure d’austérité imposée au pays par l’UE en 2012 n’a pas fini de produire ses effets.

Du reste, les secteurs de l’enseignement, de la justice et de la santé ont été marqués, depuis fin 2022, par des grèves et mobilisations pour des rattrapages salariaux. André Ventura n’a pas hésité à surfer sur ces mécontentements, alliant des promesses contradictoires pour séduire plus largement : l’augmentation des salaires et des retraites, mais aussi la baisse des impôts ainsi que des privatisations de services publics pour rappeler ses convictions ultralibérales.

Récemment encore, les voix étaient nombreuses, au sein de l’UE, pour vanter le « modèle portugais »

Quoiqu’il en soit, l’appel à « faire barrage à l’extrême droite », qui avait permis au PS, en 2022, de renforcer sa position au pouvoir, n’a plus fonctionné. Triomphant, le leader de Chega a immédiatement proposé à l’Alliance démocratique de former une coalition, affirmant dès le lendemain du scrutin que « seul un parti irresponsable laisserait le PS gouverner alors que nous avons la possibilité de construire un gouvernement de changement ». « Je ne connais aucun pays qui ait élu une force de 20 % qui ne fasse pas partie du gouvernement » a-t-il également martelé.

Une attitude pour le moins opportuniste. Car lors de sa campagne anti-corruption, il qualifiait les deux grandes forces politiques traditionnelles de « deux faces de la même médaille ». Il avait même qualifié le PSD, à qui il fait désormais des appels du pied, de « prostituée du PS ».

Pour sa part, le chef du PSD, Luis Montenegro, a toujours affirmé qu’il  ne s’allierait jamais avec Chega. « Non c’est non », n’a-t-il cessé de répéter – un point de vue qui n’est peut-être pas unanime dans son parti. Du reste, une telle alliance ne sera sans doute pas nécessaire.

Car le chef de file du PS, Pedro Nuno Santos, a clairement indiqué qu’il entendait camper désormais dans l’opposition : « jamais nous ne laisserons André Ventura devenir le chef de l’opposition », manière d’écarter l’hypothèse d’une « grande coalition » entre le PS et le PSD. Mais son directeur de campagne a tout de suite précisé : « le Parti socialiste ne provoquera pas d’impasse constitutionnelle ».

En clair, on se dirige, du moins à court terme, vers la formation d’un gouvernement de droite, sous la houlette de M. Montenegro, que le PS laisserait gouverner. Ce qui ramène à une configuration connue avant 2015 : une alternance au pouvoir des deux forces principales se tolérant mutuellement. Cette situation pourrait ne pas déplaire à M. Ventura, dont le parti continuerait à se nourrir du slogan « Tous pourris ».

Quoiqu’il en soit, la défaite du PS après le départ forcé du premier ministre sortant, prend un relief particulier dans le contexte où, récemment encore, les voix étaient nombreuses, au sein de l’UE, pour vanter le « modèle portugais ». Bien au-delà de son propre camp politique, M. Costa était loué pour avoir fait passer plusieurs indicateurs économiques dans les normes de Bruxelles – notamment la réduction des déficits – officiellement sans casse sociale, vantait-on. Au point que le nom de M. Costa était fréquemment cité comme probable futur président du Conseil européen.

Les électeurs n’ont pas partagé cet enthousiasme.

Partager :