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La zone euro en récession du fait notamment des sanctions anti-russes

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Cette fois, le verdict est sans appel. La zone euro est officiellement entrée en récession. Les chiffres ont été rendus publics le 9 juin par l’institut public Eurostat : le produit intérieur brut des vingt pays de la monnaie unique a reculé de 0,1% au premier trimestre 2023. Une baisse analogue avait été constatée fin 2022. Ces reculs lors de deux trimestres consécutifs définissent ce que les économistes conviennent de désigner comme une récession.

Certes, les phénomènes économiques sont toujours déterminés par un ensemble de causes, mais un point n’est guère contestable, même si les dirigeants politiques de l’UE restent évidemment discrets à cet égard : les sanctions pilotées par Bruxelles contre la Russie (dix paquets successifs à ce jour décidés depuis mars 2022), et les contre-sanctions qu’elles ont provoquées de la part de Moscou, ont joué un rôle déterminant dans le plongeon économique de la zone. Et ce, alors que cette dernière pouvait espérer rebondir fortement après le choc violent du Covid et les goulets dans les chaînes de production que la pandémie a causés.

La hausse brutale du prix de l’énergie en a décidé autrement. Il faut le souligner : ce sont bien les restrictions drastiques imposées pour des raisons politiques à l’approvisionnement en pétrole, en charbon et en gaz qui plombent aujourd’hui la croissance de l’UE, et non la guerre elle-même.

Tous les analystes s’accordent en effet pour attribuer un rôle majeur, dans la récession, à la hausse brutale du cours des hydrocarbures. Certes, ces derniers sont aujourd’hui en repli (pour combien de temps ?), mais l’ascension des prix de l’énergie en diffuse toujours ses effets dans les économies et plombe les pays de la monnaie unique.

Les conséquences sont particulièrement visibles en matière d’inflation des prix alimentaires : les prix ont bondi de 13,4% en mai. En effet, le secteur agro-alimentaire est très touché par l’envolée des prix du carburant pour les tracteurs, des engrais, du chauffage des serres, du transport… Tous secteurs confondus, l’inflation décélère un peu en zone euro, mais reste très élevée : 6,1% (en rythme annuel) en mai, 7% en avril, le pic s’étant situé à 10,1% en novembre dernier.

Non seulement les ménages ont dû faire face à la hausse des prix du carburant et aux factures faramineuses du chauffage cet hiver, mais ils doivent donc se restreindre pour les courses alimentaires. Sans surprise, la consommation, moteur essentiel de la croissance, est donc en berne. En France par exemple, le niveau de l’achat de biens courants est inférieur de 4,3% d’une année sur l’autre.

A cela s’ajoute la politique monétaire restrictive de la Banque centrale européenne : cette dernière a fait passer son taux d’intérêt principal de – 0,50% à + 3,25% en moins d’un an. Une remontée sans précédent, et qui vient d’ailleurs de grimper encore d’un cran le 15 juin.

Pour se justifier, les banquiers centraux de Francfort mettent précisément en avant leur volonté de lutter contre l’inflation, elle-même enclenchée par les prix de l’énergie. Mais cette hausse délibérée des taux d’intérêts pèse lourdement sur l’activité. Car l’envolée du coût des emprunts concerne les projets d’achats de logement des ménages, mais aussi les investissements des PME.

Face à l’inflation, la récession « fait partie de la solution » avouait même pour sa part Joachim Nagel, patron de la Bundesbank, en octobre dernier, ce qui n’a pas plu à certains dirigeants européens… Dans ces conditions, la tendance récessive pourrait bien se prolonger.

L’Allemagne est particulièrement touchée, du fait de sa dépendance au gaz russe

Un élément très notable dans ce sombre tableau est que l’Allemagne est particulièrement touchée. Celle-ci, qui représente à elle seule plus de 30% de l’économie de la zone, a vu son économie reculer de 0,5% au dernier trimestre 2022, et de 0,3% au premier trimestre 2023.

Aucun mystère à cela : le pays est plus industrialisé que la moyenne de ses voisins, et, surtout, était l’un des plus dépendants du gaz russe. Preuve supplémentaire que la volonté de « punir Moscou », martelée particulièrement à Berlin, a certes nui à la Russie, mais s’est retournée contre ses auteurs.

L’énergie chère est donc un problème qui plombe particulièrement la République fédérale (alors que les pays du sud comme l’Espagne ou le Portugal, moins dépendants de la Russie, s’en sortent plutôt moins mal ; pour sa part, l’économie française a stagné au cours des deux derniers trimestres, soit 0% puis + 0,2%).

Les industries allemandes à haute consommation d’énergie ont reculé de 11% sur un an. Et de plus en plus de grands groupes (y compris l’emblématique Volkswagen pour sa future production de batteries), ainsi que de moyennes entreprises, multiplient les projets de délocalisation. Selon une récente enquête menée par l’Organisation des entreprises industrielles d’outre-Rhin (BDI), 16% des entreprises de taille moyenne ont engagé un processus de délocalisation, et 30% envisagent de le faire.

Direction l’Amérique du Nord, où le prix de l’énergie est bien plus doux. Au point d’inciter le vice-chancelier Habeck à imaginer en urgence des mécanismes visant à subventionner les prix de l’électricité allemande – des projets qui pourraient bien être mal vus par Bruxelles s’ils devaient voir le jour…

Les alliés européens des USA sont en première ligne pour subir les conséquences de leurs propres sanctions. Washington gagne sur tous les tableaux

Quoiqu’il en soit, le paradoxe géopolitique est remarquable. D’un côté, le camp occidental proclame plus que jamais son unité. Mais là où les Etats-Unis ne dépendaient quasiment pas de la Russie pour leur énergie, les alliés européens sont en première ligne pour subir les conséquences de leurs propres sanctions. Washington gagne sur tous les tableaux.

Ainsi, la consommation est en baisse de 0,9% comparativement à la période pré-Covid (fin 2019) en zone euro, alors qu’elle est en hausse de 8,5% aux Etats-Unis.

Historiquement, les dirigeants politico-économiques allemands (de l’ouest, avant 1989) ont tenté de concilier un alignement fidèle sur l’Oncle Sam, et une politique promouvant leurs intérêts mondiaux, notamment via la « réunification » du pays et l’« élargissement » de l’UE. Manifestement, l’aile la plus atlantiste tient aujourd’hui le haut du pavé. Au détriment des forces les plus orientées vers l’Est (à l’image de l’ex-chancelier Schröder) ; et des intérêts de la population.

Reste à savoir combien de temps cela pourra durer…

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