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Nouvelles bisbilles au sommet : sur les gros sous, et sur Gaza

Conseil européen du 26/10/2023

Le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-sept qui s’est déroulé les 26 et 27 octobre (photo) est passé (presque) inaperçu. Il a pourtant apporté un nouveau lot de dossiers sur lesquels les Vingt-sept laissent apparaître leurs divisions. Après l’énergie, l’immigration et l’élargissement, deux domaines – et non des moindres – risquent de s’avérer explosifs : les questions de gros sous, et la politique extérieure notamment face au Moyen-Orient.

Le premier point n’est pas vraiment nouveau : l’élaboration du « cadre financier pluriannuel » provoque, tous les sept ans, des bras de fer homériques entre les Etats membres. Schématiquement, les pays baptisés « radins » par Bruxelles (les Pays-Bas, l’Autriche, les Nordiques…) tentent de réduire au maximum le budget communautaire, auquel ils apportent une contribution nette ; tandis que les pays, souvent à l’Est, qui reçoivent plus qu’ils ne payent, militent au contraire pour une expansion des dépenses.

Cette fois cependant, c’est particulier : il s’agit d’amender le budget en cours (qui couvre la période 2021-2027). Et c’est la Commission européenne qui est à l’initiative. Celle-ci pointe en effet l’écart croissant entre les recettes initialement prévues, et les nouvelles ambitions affichées par l’UE.

Bruxelles plaide ainsi pour « renforcer la compétitivité européenne » face au soutien public massif que les Etats-Unis offrent aux entreprises présentes sur leur sol, notamment (mais pas seulement) dans les « industries vertes ». Des aides tellement attrayantes que de nombreuses grandes firmes européennes préparent ou envisagent des délocalisations outre-Atlantique, quitte à sacrifier des dizaines de milliers d’emplois sur le Vieux continent. Montant de cette rallonge réclamée par Bruxelles pour ladite « compétitivité » : 10 milliards d’euros, au grand dam de Berlin et de La Haye.

La Commission veut aussi 15 milliards supplémentaires pour financer la régulation des flux migratoires – un dossier sur lequel les Vingt-sept ne cessent de s’écharper. Autre point litigieux : le surplus de financement qui s’annonce nécessaire avant de faire entrer les pays candidats au sein de l’UE.

Mais c’est l’« aide » à Kiev qui constitue le plus lourd dossier, pour lequel les contribuables des Etats membres risquent d’être le plus ponctionnés. C’est aussi celui auquel le sommet consacre les trois premières pages de ses conclusions… quelques jours après l’embrasement du Moyen-Orient. On peut notamment lire : « l’Union européenne continuera de fournir un soutien financier, économique, humanitaire, militaire et diplomatique fort à l’Ukraine et à sa population aussi longtemps qu’il le faudra ».

Au total la Commission réclame 100 milliards supplémentaires… C’est peu dire que cela n’a pas fait l’unanimité parmi les Etats membres

La rallonge budgétaire est chiffrée à 50 milliards d’euros, auxquels devraient s’ajouter, hors budget, 20 milliards d’aide strictement militaire (équipements, munitions, formations et entraînements). Cependant, l’unanimité n’est plus tout à fait de mise : les premiers ministres hongrois et slovaque ont annoncé leur opposition. On saura en décembre – échéance à laquelle la modification budgétaire devrait être adoptée – s’ils joignent le geste à la parole.

Bref, au total la Commission réclame 100 milliards supplémentaires… Rien que ça ! Le tiers serait emprunté sur les marchés financiers, alors même que, notamment du fait des décisions de la Banque centrale européenne, les taux d’intérêt grimpent en flèche (ce qui entraîne déjà un accroissement considérable du coût de l’emprunt communautaire de 2020 finançant le plan de relance). Et les deux tiers des 100 milliards seraient financés par des contributions des Etats membres.

Dans ces conditions, c’est peu dire que la revendication de la Commission n’a pas fait l’unanimité parmi les Etats membres. Elle a même engrangé peu de soutiens. Très remonté, chef du gouvernement néerlandais, Mark Rutte, a martelé que les fonds devraient plutôt « être trouvés dans le budget actuel » par exemple en ponctionnant des dossiers moins prioritaires. La première ministre estonienne a pour sa part réclamé que la rallonge pour Kiev soit approuvée en priorité.

La question est tellement délicate que les conclusions n’ont pu y consacrer que trois lignes (sur douze pages) : « à la suite de son échange de vues approfondi sur la proposition de révision du cadre financier pluriannuel 2021-2027, le Conseil européen invite le Conseil à faire avancer les travaux en vue de parvenir à un accord global d’ici la fin de l’année »…

L’autre dossier hautement conflictuel concerne l’approche du drame de la bande de Gaza, assiégée et bombardée

L’autre dossier hautement conflictuel concerne l’approche du drame de la bande de Gaza, assiégée et bombardée. Faut-il préciser qu’aucune capitale n’insiste sur l’occupation que subit le peuple palestinien depuis des décennies ? Les différences se situent plutôt entre ceux qui soutiennent Israël de manière univoque et quoiqu’il arrive (Allemagne, Autriche, Hongrie, Tchéquie…) et ceux qui auraient souhaité un (modeste) appel à un cessez-le-feu (Espagne, Portugal, Irlande…).

Il aura finalement fallu cinq heures aux dirigeants pour s’entendre sur un appel minimal : ni demande de cessez-le-feu, ni même de pause humanitaire. Seulement le souhait de « corridors », et de « trêves », au pluriel, pour marquer leur caractère ponctuel.

Ces oppositions entre les Vingt-sept furent encore plus ostensibles, le même jour, dans le cadre de l’Assemblée générale de l’ONU. Celle-ci était appelée à voter, le 27 octobre, sur une résolution (non contraignante) appelant à la protection des civils et au respect des obligations juridiques et humanitaires. Le texte a été adopté à une large majorité de 120 pays, 14 votant contre, et 45 s’abstenant.

Mais une chose a frappé les esprits : les pays de l’UE se sont répartis entre  ces trois catégories. La Belgique, la France, la l’Irlande, le Luxembourg, Malte, le Portugal et la Slovénie ont approuvé le texte ; l’Autriche, la Croatie, la Hongrie et la République tchèque s’y sont opposées ; les autres se sont abstenus.

Si cet éclatement n’a pas spécialement retenu l’attention à New York (qui s’intéresse au rôle que prétend jouer l’Union européenne ?), il a en revanche mis au désespoir les partisans de l’intégration européenne. Ces derniers ont comme objectif prioritaire depuis des années de faire survenir une « politique extérieure commune ».

C’est mal parti.

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