A la veille du sommet de l’OTAN des 11 et 12 juillet, les Occidentaux sont divisés sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance atlantique, mais aussi à l’UE. Dans ce dernier cas, les différences se sont fait jour lors du Conseil européen des 29 et 30 juin sur cette question, mais des querelles se sont surtout confirmées sur plusieurs autres dossiers, dont les politiques migratoires.
Heureusement qu’il y a l’Ukraine : au moins les Vingt-sept ont-ils ainsi un dossier pour lequel ils peuvent se réjouir d’un consensus… En réalité, cette affirmation n’a jamais été complètement exacte. Car la Hongrie a toujours fait entendre sa différence face à l’agressivité anti-russe caricaturale dont l’UE fait preuve depuis – au moins – février 2022.
Certes, Budapest a entériné les onze paquets de sanctions successifs visant Moscou. Mais le premier ministre, Viktor Orban, prône plutôt une désescalade, et a freiné ou limité un certain nombre de mesures restrictives que ses vingt-six partenaires auraient voulu imposer. Ce qui n’a pas manqué d’agacer au plus haut point certains de ceux-ci. Globalement cependant, l’UE pouvait se vanter de son « unité » face à l’« agresseur » désigné.
Après le Conseil européen des 29 et 30 juin (au déjeuner duquel s’est joint le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg – photo), cette unité sur ce dossier et sur ces conséquences est apparue fragilisée. Certes, dans leur déclaration finale, les chefs d’Etat et de gouvernement ont affirmé que « l’Union européenne continuera de fournir un soutien financier, économique, humanitaire, militaire et diplomatique fort à l’Ukraine (…) aussi longtemps qu’il le faudra ».
Mais concrètement, en matière d’accélération de l’aide militaire, les dirigeants européens sont restés dans le vague. Et pour cause : nombre d’outils et d’instruments ont déjà été mis en œuvre. Outre les aides financières, les programmes d’achats communs d’armes, de fabrication de munitions, d’aides aux industries de défense sont déjà lancés. Le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, a précisé que 24 000 soldats ukrainiens avaient déjà été formés par des instructeurs européens, et qu’il convenait d’amplifier cet effort. Et les Vingt-sept ont entériné une hausse du plafond de 3,5 milliards pour leur budget militaire officieux (« Facilité européenne pour la paix »).
Ursula von der Leyen a évoqué le chiffre faramineux de 50 milliards supplémentaires pour Kiev dans le cadre du budget communautaire pluriannuel
Pour sa part, la présidente de la Commission européenne a préconisé un doublement à long terme du financement militaire fourni à Kiev. Ursula von der Leyen a même évoqué le chiffre faramineux de 50 milliards supplémentaires dans le cadre du budget communautaire pluriannuel 2024-2027 en voie de révision. « Insuffisant », ont d’ailleurs immédiatement réagi la Pologne et les Etats baltes. « Absurde » a martelé, à l’inverse, Viktor Orban, de la part d’une UE « en faillite », et qui n’a pas de contrôle sur l’utilisation des aides militaires déjà versées à Kiev.
Mais c’est sur la stratégie à long terme que les divergences se sont discrètement révélées. Quels « engagements de sécurité » fournit-on à Kiev après la phase active des combats ? Ledit concept d’« engagements de sécurité » avait été lancé par le président français le 31 mai lors d’un discours à Bratislava. Ce dernier avait alors surpris en proposant d’accélérer l’intégration de l’Ukraine à l’UE et à l’OTAN, l’inverse de la position traditionnelle française. L’année dernière encore, Emmanuel Macron estimait que l’adhésion à la première prendrait des décennies…
Ce changement de discours pourrait bien être tactique, le but étant de faire pression pour imposer des réformes institutionnelles internes de l’UE aujourd’hui bloquées. Quoiqu’il en soit, le maître de l’Elysée a mis mal à l’aise certains pays qui restent attachés (dans une petite mesure) à leur neutralité militaire. L’Autriche, l’Irlande, mais aussi Chypre et Malte ont ainsi fait inscrire dans les conclusions communes que lesdits engagements de sécurité en faveur de Kiev devraient être proposés « sans préjudice du caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres ».
Paradoxalement, les ultra-atlantistes comme Varsovie ou les Baltes n’ont pas non plus montré d’enthousiasme face aux suggestions macroniennes, considérant que les « garanties de sécurité » devaient être offertes aux dirigeants ukrainiens dans le cadre prioritaire de l’OTAN. Un sommet de l’Alliance se tient du reste les 11 et 12 juillet à Vilnius ; cette réunion devrait être houleuse (en coulisses) d’autant que Washington, qui avait milité en 2008 pour une adhésion rapide de l’Ukraine à l’OTAN, a aujourd’hui inversé sa position – sans doute pour éviter de donner raison à Moscou qui n’a cessé de dénoncer ce chiffon rouge.
Emmanuel Macron a pris de court même Berlin, non associé à cette volte-face française, ce qui ne fait qu’alourdir encore un peu plus le contentieux entre les deux capitales. D’autant qu’en perspective se profile un autre enjeu plus global : comment faire face au choc considérable que représenterait l’élargissement de l’UE à une dizaines de pays supplémentaires. Car l’Ukraine n’est pas la seule candidate : pas question d’oublier la Moldavie voisine, ni les pays des Balkans, dont certains ont le statut de pays candidat depuis plus de dix ans. Surtout, les faire encore attendre serait laisser la place libre à l’influence russe, ne cesse de proclamer Bruxelles.
D’un autre côté, aucun de ces pays ne répondent, et de loin, aux normes européennes. L’Ukraine, par exemple, s’était vu imposer sept conditions, en juin 2022, avant que ne débute les « négociations » d’adhésion. Seules deux d’entre elles sont jugées remplies aujourd’hui – et certainement pas celle qui concernait la corruption.
Et ces Etats candidats sont particulièrement pauvres. Leur faire de la place priverait près d’une vingtaine de pays membres actuels de leur état de bénéficiaires nets de subventions communautaires, puisque le budget n’est pas extensible. Un véritable tremblement de terre si un jour cette perspective se concrétisait.
C’est sur le dossier des migrations que la querelle la plus explicite a éclaté le 29 juin
Si les fissures entre les Vingt-sept sont ainsi discrètement apparues dans le domaine géopolitique, les divergences entre eux se sont confirmées, lors du sommet du 30 juin, sur d’autres dossiers. Les positions des uns et des autres sont juxtaposées dans les conclusions. Il faut ainsi être ferme avec Pékin… mais la Chine doit rester un partenaire commercial majeur. Il faut soutenir une « politique industrielle » commune volontariste… mais préserver le règne prioritaire de la concurrence.
Et dans les mois qui viennent, les affrontements risquent d’être rudes (y compris entre Paris et Berlin) sur la réforme de la « gouvernance économique », en particulier du Pacte de stabilité. Sans même évoquer les contradictions émergentes découlant des objectifs radicaux du « Pacte vert » (environnement et climat).
Mais, pour l’heure, c’est sur le dossier des migrations que la querelle la plus explicite a éclaté le 29 juin. Début juin, les ministres des Vingt-sept s’étaient mis d’accord sur un mécanisme de « solidarité obligatoire », une procédure imposant aux pays non riverains de la Méditerranée d’accueillir des quotas de réfugiés – ou bien de payer des pénalités.
La Pologne et la Hongrie, farouchement opposées à ce principe, n’avaient pu empêcher le lancement du processus législatif. Lors du sommet, les premiers ministres de ces deux pays ont bloqué l’adoption de conclusions communes, Viktor Orban refusant que l’UE impose une politique migratoire. Mateusz Morawiecki, son collègue polonais, annonçait de son côté un référendum sur cette question dans son propre pays, en même temps que les élections générales prévues cet automne.
A l’évidence, les mois qui viennent s’annoncent difficiles pour les partisans de l’intégration européenne.