Le 20 septembre, l’Azerbaïdjan a parachevé sa reprise en main du Haut-Karabakh. Cette province appartient certes administrativement à ce pays, mais elle est historiquement peuplée d’Arméniens – elle est même parfois considérée comme le berceau de la culture arménienne.
Entre cette date et aujourd’hui, soit en moins de deux semaines, plus de 100 000 habitants, soit la grande majorité de la population, ont fui l’enclave dans des conditions dramatiques, par peur des exactions redoutées de l’armée azerbaïdjanaise.
Le conflit entre l’enclave séparatiste et Bakou (la capitale azérie) remonte à l’éclatement de l’URSS (même s’il a des racines historiques séculaires). Il en est même l’une des conséquences puisque, pas plus que la guerre entre la Russie et l’Ukraine, l’affrontement armé entre forces arméniennes et azerbaïdjanaises n’aurait pu se dérouler entre Républiques alors soviétiques.
Le dernier affrontement massif entre ces deux pays remonte à l’automne 2020, à l’initiative de l’Azerbaïdjan. Il avait débouché sur une victoire de Bakou, fort du soutien militaire, politique et diplomatique de la Turquie, et de livraisons de nombreuses armes israéliennes.
Les combats avaient provoqué la mort de près de 7 000 militaires et civils, et des dizaines de milliers de déplacés. Ils avaient débouché sur un cessez-le-feu, conclu sous l’égide de la Russie, dont 2 000 soldats sont ensuite arrivés sur place en tant que force de paix entre les belligérants. Sur le terrain, Bakou recouvrait des territoires préalablement sous contrôle arménien. Mais le Haut-Karabakh lui-même restait administré par les Arméniens sur place, dont le rêve est le rattachement à la mère-patrie.
Pour Bakou, qui voulait récupérer le contrôle total de la région, c’était encore trop. Sentant que la situation internationale lui était favorable – Moscou ayant d’autres priorités que de faire pression pour que les deux capitales négocient – le président azerbaïdjanais lançait, en décembre 2022, un véritable blocus de l’enclave. Une manœuvre facilitée par le fait que celle-ci n’est reliée à l’Arménie que par une seule route (le corridor de Latchine). Une fois cette route bloquée, les approvisionnements de première nécessité – alimentation, médicaments… – se sont progressivement taris, plaçant la population civile dans une pénurie de plus en plus catastrophique.
Dès lors, il ne suffisait plus que de donner le coup de grâce. Le 18 septembre dernier, le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, ordonnait une ultime offensive militaire, sous couvert d’opération « anti-terroriste ». L’Arménie a alors dénoncé une « agression à grande échelle »particulièrement meurtrière.
Mais le rapport de force ne laissait aucun autre choix aux séparatistes que de capituler et de rendre les armes. Grand seigneur, Bakou a promis de garantir les droits civils et religieux aux Arméniens souhaitant rester sur place, tout en comptant que nombre d’entre eux fuiraient vers l’Arménie. C’est ce qui vient de se produire.
En France, où la communauté arménienne est fortement représentée, la plupart des forces politiques – notamment via leurs députés européens – ont eu des mots très durs vis-à-vis de du président Aliev, certains pointant les risques de « nettoyage ethnique ». Pour sa part, le chef de la diplomatie de l’UE a condamné l’offensive militaire lancée par l’Azerbaïdjan, et appelé à la reprise du dialogue. Josep Borrell est d’autant plus contrarié que Bruxelles avait parrainé des pourparlers entre Bakou et Erivan, se vantant même, en août dernier, d’être à deux doigts d’un accord.
Dépité, l’un des adjoints de M. Borrell a accusé Moscou d’être responsable de l’offensive azérie en dénonçant la passivité de la force d’interposition russe. Le calcul du Kremlin serait d’attiser la colère des courant arméniens les plus nationalistes afin de précipiter la chute de l’actuel président arménien, jugé trop pro-occidental. Une thèse reprise par Catherine Colonna, le ministre français des affaires étrangères.
Chacun a bien compris que Bruxelles ne prendrait aucune mesure de rétorsion contre Bakou
L’accusation qui pourrait bien être une diversion. Car, malgré les condamnations formelles, chacun a bien compris que Bruxelles ne prendrait aucune mesure de rétorsion contre Bakou. Et pour cause : le gaz de ce pays doit contribuer à remplacer celui que Bruxelles ne veut plus acheter à la Russie. Ainsi, en 2022, l’Union européenne a reçu 11,3 milliards de m3 de gaz azéri, contre 8 milliards l’année précédente. Et prévoit d’atteindre un rythme annuel de 20 milliards d’ici 2027.
Bref, pour l’UE, sanctionner la Russie – au détriment des consommateurs européens, victimes de prix en hausse – est la priorité. Quitte à se fournir auprès d’un pays dont les dirigeants viennent d’utiliser la force la plus brutale pour régler un problème qui aurait dû être traité de manière diplomatique comme le demandaient tant Moscou que les capitales occidentales…
Par ailleurs, l’Azerbaïdjan n’est pas vraiment un modèle du fameux « Etat de droit » dont Bruxelles se fait le chantre. Il est, de notoriété publique, rongé par la corruption, le népotisme et l’autoritarisme. Le sort des opposants politiques y est fort peu enviable.
Ce qui n’avait nullement empêché la présidente de la Commission européenne de se rendre à Bakou le 18 juillet 2022 pour y signer et fêter un nouveau protocole d’accord sur l’énergie (photo). Ursula von der Leyen n’hésitait pas alors à déclarer : « nous ouvrons un nouveau chapitre de notre coopération énergétique avec l’Azerbaïdjan, un partenaire clé de nos efforts pour abandonner les combustibles fossiles russes (…). Cependant, l’énergie n’est qu’un des domaines dans lesquels nous pouvons intensifier notre coopération avec l’Azerbaïdjan et je me réjouis de la perspective d’exploiter pleinement le potentiel de nos relations ».
Bakou, un « partenaire de confiance » ? Bel exemple du deux poids – deux mesures pratiqué par les Occidentaux en général, les dirigeants de l’UE en particulier.
Et plus tard, ceux-ci s’interrogeront gravement sur le fossé qui s’élargit entre eux et le « Sud global »…