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Austérité pour les peuples, mais largesses bruxelloises

Edi Rama et Ursula von der Leyen

Ursula von der Leyen a récemment effectué une tournée dans les pays des Balkans, dont la plupart sont officiellement candidats à rejoindre l’Union européenne. La présidente de la Commission a notamment fait étape le 13 octobre à Tirana, la capitale de l’Albanie.

Aux côtés du président socialiste Edi Rama (photo, à gauche), ravi, elle a annoncé que Bruxelles allait verser 100 millions d’euros à ce pays afin de l’encourager à accomplir les réformes exigées avant l’adhésion (qui n’aura probablement jamais lieu).

Pour la Commission, c’est un geste tout à fait banal. Les pays candidats sont biberonnés aux dons de l’UE, notamment les « fonds de pré-adhésion ». En revanche, les contribuables des Etats membres seraient sans doute surpris s’ils étaient informés de ces largesses. Le supplément promis à Tirana est certes modeste, mais il arrive dans une période où les coupes budgétaires sont à l’ordre du jour dans la plupart des vingt-sept pays membres.

Car ce sont bien les finances nationales qui nourrissent le budget communautaire. Notamment celles des pays dits « contributeurs nets », c’est-à-dire les Etats qui versent au pot commun plus que ce qu’ils perçoivent en retour de Bruxelles. C’est notamment le cas de la France, dont la contribution brute s’élève à 24 milliards d’euros, un montant loin d’être négligeable. L’Allemagne, pour sa part, verse 30 milliards (montants en 2023).

Si l’exécutif européen exerce une pression maximale sur les dépenses publiques, notamment des pays les plus déficitaires, dont la France, il n’hésite pas à financer de manière dispendieuse, et peu connue, les causes les plus discutables. La générosité vis-à-vis des capitales candidates (générosité qui ne bénéficie du reste que très peu à la population, mais plutôt aux firmes de l’Europe de l’Ouest, et aux intermédiaires corrompus) n’est pas le seul exemple. Il y a pire.

Les mêmes qui exigent que Moscou paie des sommes astronomiques n’imaginent pas une seconde de demander la même chose à l’Etat hébreux

On sait qu’Israël, depuis deux ans particulièrement, a déclenché une guerre barbare contre les Palestiniens de Gaza. Les bombardements massifs ont causé officiellement la mort de 68 000 hommes, femmes et enfants – un chiffre très partiel, puisqu’il faut y ajouter les dizaines de milliers de victimes de la faim et des maladies causées par le blocus inhumain – au point que le terme de génocide tend désormais à s’imposer.

A cela s’ajoute un acharnement contre les bâtiments, les infrastructures, les logements. Les images qui proviennent de ce territoire martyr représentent des champs de ruine. Ils font apparaître un véritable paysage d’apocalypse, tant des quartiers entiers ont été délibérément rasés. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) estime à plus de 60 milliards d’euros le coût de la reconstruction, qui nécessiterait d’abord d’évacuer les 55 millions de tonnes de gravats et de décombres.

Face à cette situation, Bruxelles affirme travailler à la mise en place d’un groupe de pays donateurs, censé entamer « un effort international avec des partenaires régionaux », selon les termes d’Ursula von der Leyen. Les fonds européens ne devraient pas manquer.

Ce qui peut apparaître comme de la générosité relève plutôt de l’incongruité, car nul dirigeant européen n’a exigé, ni même évoqué, ce qui devrait être une évidence : c’est vers Israël, qui a planifié et appliqué la destruction de masse, que la communauté internationale devrait se tourner pour financer les réparations.

Les mêmes qui exigent que Moscou paie des sommes astronomiques pour compenser les effets de la guerre en Ukraine n’imaginent pas une seconde de demander la même chose à l’Etat hébreux, alors même que, quoi qu’on pense de ce conflit, les conséquences humaines sont sans commune mesure avec les intentions génocidaires du gouvernement israélien. Interrogé par un journaliste sur ce point, le porte-parole de la Commission européenne… a refusé de répondre.

Ce ne serait au demeurant pas la première fois que l’UE, ou ses Etats membres, financent des installations devant bénéficier aux Palestiniens, notamment en Cisjordanie (infrastructures, écoles, centres de santé), et que l’armée israélienne détruit ensuite, sans que Bruxelles n’y trouve à redire.

Dépenses discrétionnaires engagées par l’UE d’un côté, pression qu’elle exerce pour imposer l’austérité de l’autre

Le contraste entre les dépenses discrétionnaires engagées par l’UE d’un côté, et la pression que cette dernière exerce pour imposer l’austérité aux différents Etats membres de l’autre, a rarement été aussi manifeste. D’autant que Bruxelles encourage aussi l’augmentation du soutien à Kiev, militaire, économique et financier.

C’est tout particulièrement le cas vu de France. Le pays n’est pas sorti de la crise politique aiguë qu’il connaît depuis juillet 2024, et plus encore depuis quelques semaines. Le nouveau gouvernement a évité une motion de censure, mais la question demeure : sur quoi vont déboucher les débats qui s’engagent au Parlement sur le budget 2026 ?

Ce qui est sûr, c’est que ni la santé, ni l’éducation, ni les retraites, pas plus que les collectivités territoriales, ne devraient échapper à de nouveaux sacrifices, censés économiser 30 milliards d’euros. Il y a en revanche fort à parier que les dépenses militaires vont continuer à croître rapidement : le projet gouvernemental actuel propose de les faire grimper de 6,7 milliards. Et il est douteux qu’une majorité de députés remette en cause le soutien français à Kiev qui s’est élevé à plus de 2 milliards d’euros en 2024, comme en 2023.

De même, la contribution de Paris au budget de l’UE va continuer à croître. Et ce, à un moment où les grands affrontements entre Etats membres, et avec la Commission, commencent à s’esquisser concernant le futur cadre financier pluriannuel de l’UE pour la période 2028-2034.

Pointer l’austérité renforcée pilotée par Bruxelles d’une part, la prodigalité affichée en faveur de causes douteuses d’autre part, devrait contribuer à éclairer ce qui se trame dans le dos des peuples des Vingt-sept.

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