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Pour maintenir l’euro, le Pacte de stabilité, réformé, fait son retour

Christian Lindner

L’austérité budgétaire est officiellement de retour. La (presque) dernière étape visant à réactiver le « Pacte de stabilité » a été franchie à l’aube du 10 février, quand un accord formel a été trouvé entre représentants du Conseil de l’UE (les vingt-sept Etats membres) et de l’europarlement. Ce dernier devrait se prononcer en séance plénière en avril – une validation qui ne fait aucun doute. Juridiquement, le Pacte réformé entrera en vigueur au 1er janvier 2025. Mais la Commission européenne a annoncé qu’elle s’en inspirerait sans attendre.

Aucune capitale de la zone euro ne remet en cause le principe de la surveillance par Bruxelles des politiques budgétaires nationales. Mais, depuis longtemps, un clivage existe entre les pays qui plaident pour plus de « souplesse » dans cette gouvernance centralisée, et ceux qui jugent que la « rigueur budgétaire » doit primer sur toute autre considération. Dans ce second camp figurent traditionnellement les Pays-Bas, la Finlande, l’Autriche, et bien sûr l’Allemagne. Quant aux partisans de desserrer – un peu – le carcan, on les trouve entre autres du côté de Madrid, de Rome, mais aussi de Paris.

Les affrontements entre les deux camps ne datent pas d’hier, mais ils ont été relancés lorsque les conséquences économiques potentiellement cataclysmiques du Covid se sont profilées début 2020. L’urgence de dépenses publiques supplémentaires massives pour tenter de faire face à la crise s’est imposée même aux pays les plus « frugaux ». Au printemps 2020, l’UE convint alors de suspendre provisoirement les règles en vigueur.

Chaque pays fut donc autorisé à dépasser, sans craindre de sanctions, les deux bornes sacrées qui prévalaient depuis le lancement de l’euro : chaque dette publique nationale doit être contenue en dessous de 60% du PIB, et les déficits budgétaires et sociaux à moins de 3% du même indicateur. Face au péril d’une récession spectaculaire, la plupart des gouvernements auraient de toute façon appliqué des politiques de dépenses exceptionnelles ; Bruxelles a ainsi provisoirement légalisé des infractions massives qui s’annonçaient de toute façon.

En avril 2023, la Commission européenne a proposé une réforme du Pacte et de la très complexe gouvernance que ce dernier entraîne

Mais certains, en particulier à Berlin, n’ont pas tardé à rappeler que le provisoire ne devait pas durer. D’accord ont répondu les pays du sud – et quelques commissaires, dont l’Italien Paolo Gentiloni – mais ce doit être l’occasion de réformer le pacte.

D’autant que ce dernier était déjà violé avant le Covid. Aujourd’hui, une douzaine de pays ont des déficits supérieurs à 3%, et la moyenne des dettes publiques nationales était en 2023 de 83% du PIB, bien au-delà des 60%%.

D’autant, aussi, que les Vingt-sept ont, entre temps, fait de la transition écologique une priorité obsessionnelle, et que celle-ci suppose des investissements considérables. Enfin, une nouvelle marotte, également très dispendieuse, est apparue parmi les dirigeants européens : investir dans les capacités militaires et les armements, pour l’Ukraine… et pour les Etats membres eux-mêmes.

En avril 2023, la Commission européenne a donc proposé une réforme du Pacte et de la très complexe gouvernance que ce dernier entraîne. La proposition maintenait les bornes de 60% et 3%, mais confiait à chaque pays qui serait en dehors des clous le soin de mettre sur pied lui-même une « trajectoire » de quatre ans pour rétablir sa situation – sous la supervision bruxelloise.

A partir de ce principe général s’est déclenchée une épreuve de force entre Berlin et Paris. Un compromis a finalement été trouvé entre les deux capitales, ce qui a ouvert la voie à un texte adopté par le Conseil le 20 décembre. C’est cette mouture qui a été acceptée par les représentants de l’europarlement le 10 février dernier (moyennant quelques modifications minuscules).

Concrètement, les pays de la zone euro dont la dette dépasse les 60% du PIB devront réduire cette dette de 1% par an (quels que soient les conséquences sociales). Cependant, s’ils s’engagent sur des « réformes structurelles » (une exigence récurrente de Bruxelles, qui peut porter sur les systèmes de santé, de retraites, sue le marché ou le droit du travail…), ils pourront se voir accorder une période de grâce supplémentaire de trois ans. Bruxelles sera d’autant plus compréhensif si des investissements « verts », dans le secteur de l’économie numérique, ou bien encore militaires, sont prévus dans les plans nationaux.

Pour les pays dont le solde budgétaire dépasse les – 3%, le déficit « structurel » devra être réduit de 0,5% par an. C’était une exigence du gouvernement allemand, représenté en ce domaine par le ministre de l’économie, le Libéral Christian Lindner (à droite sur la photo, face à ses homologues français et espagnole). Le diable se cache dans les détails : le terme « structurel » renvoie à la non-comptabilisation des intérêts de la dette. Même le gouverneur de la Banque de France, pourtant très favorable à une réforme « rigoureuse » du Pacte a admis que celui-ci avait encore été complexifié par rapport au système précédent.

Quoiqu’il en soit, de l’avis de nombreux observateurs, Berlin a eu globalement gain de cause à travers la mise en place de ces « garde-fous ». Et a imposé qu’on se concentre plus sur la réduction des dépenses que sur celle des déficits (ce qui a l’« avantage » de ne pas nuire aux réductions d’impôts, chères aux libéraux). Paris a cependant obtenu une petite concession : l’exigence portant sur le rythme de réduction des déficits n’entrera en vigueur qu’en 2028. Donc après la prochaine élection présidentielle…

Le pacte de stabilité – au-delà de telle ou telle réforme – est un corset de fer mis en place pour éviter que l’euro n’explose

Lors du vote final dans l’hémicycle de Strasbourg, le PPE (droite européenne), les Libéraux mais aussi une très grande partie du groupe des socialistes et sociaux-démocrates voteront la réforme du pacte ainsi négociée. Une petite partie de ces derniers cependant, de même que les eurodéputés du groupe de gauche et de celui des Verts, s’y opposeront en dénonçant le règne de l’ultralibéralisme dans les instances européennes.

Mais ils se garderont certainement de pointer la raison d’être du Pacte de stabilité : lorsque le projet de monnaie unique avait été présenté, au début des années 1990, ses auteurs étaient bien conscients qu’une telle monnaie était intenable si elle était partagée par des économies aux caractéristiques différentes et aux tendances divergentes. Il fallait donc mettre en place un corset de fer pour faire tenir ensemble une entité économique hétéroclite.

Dit autrement, le pacte de stabilité – au-delà de telle ou telle réforme – est indispensable pour éviter que l’euro n’explose. Ce dernier, qui devait assurer protection et prospérité aux « citoyens européens », se confirme donc comme l’une des principales causes des coupes dans les dépenses, de Berlin à Paris et de Rome à Madrid. Au détriment des services publics dans tous les domaines.

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