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Elections aux Pays-Bas : Geert Wilders rate sa manœuvre

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Le 29 octobre, les 13,5 millions d’électeurs néerlandais étaient appelés aux urnes de manière anticipée, deux ans seulement après les législatives de novembre 2023. 78,4% d’entre eux ont participé au scrutin (+ 0,7%).

Les observateurs tablaient sur le maintien du Parti pour la liberté (PVV), conduit par le « populiste » Geert Wilders (photo), au niveau très élevé qu’il avait atteint il y a deux ans. Finalement, le PVV rassemble 16,7% des suffrages et perd 6,9 points.

Il se fait donc doubler d’un cheveu par le parti social-libéral D66, qui obtient 16,9% et progresse de 10,6 points. C’est la surprise du scrutin, qui semble s’être ébauchée dans les derniers jours de campagne.

M. Wilders, qui a notamment fondé son identité politique sur le combat contre l’islam, n’a pas caché sa déception, d’autant qu’il avait lui-même déclenché la chute du gouvernement sortant, dont son parti constituait pourtant le plus important des quatre piliers. Du fait de sa personnalité jugée trop clivante, ses alliés avaient cependant empêché qu’il dirige lui-même le cabinet formé en juillet 2024.

Moins d’un an plus tard, en mai dernier, il prenait l’initiative de présenter un plan de dix mesures radicalement renforcées contre l’immigration (notamment la sécurisation des frontières par l’armée, la suspension des quotas imposés par l’UE, la fin du regroupement familial…).

Ses partenaires de coalition ayant jugé ce plan inapplicable, le PVV retirait ses cinq ministres, rendant le gouvernement dirigé par le technocrate Dick Schoof minoritaire. En août, un autre partenaire de la coalition (le Nouveau contrat social, NSC) se retirait également, lui pour protester contre l’absence de condamnation officielle des exactions israéliennes à Gaza.

Mais c’est bien M. Wilders qui avait choisi de précipiter les élections. Sans doute avait-il calculé que le peu de résultats obtenus – notamment au regard des promesses sur l’immigration, mais aussi sociales – par l’attelage quadripartite sortant menacerait sa crédibilité le moment venu. Et que la réaffirmation de sa radicalité lui permettrait de devenir enfin premier ministre.

Il semble bien que ce soit cette tactique, plutôt que ses orientations, qui l’ait desservi. De nombreux citoyens semblent avoir peu apprécié l’instabilité politique qu’il a provoquée par son coup d’éclat. En outre, des émeutes provoquées par des hooligans d’ultra-droite s’étaient déroulées à La Haye en septembre, brouillant quelque peu sa campagne anti-immigration.

A peine plus de la moitié de ses électeurs de 2023 lui sont restés fidèles. Mais 14% d’entre eux se sont reportés sur deux petits partis souverainistes et conservateurs : le JA21, qui progresse à 5,9%, et le Forum pour la démocratie à 4,5%.

Parmi les raisons qui ont concouru à la baisse du PVV figurent peut-être aussi la quasi-disparition dans la campagne des thèmes de la guerre et de l’aide à l’Ukraine. Lors du précédent scrutin, M. Wilders avait dénoncé l’escalade militaire, ce qui avait alors contribué à son triomphe. De même, la perspective d’un référendum sur la sortie de l’UE n’a cette fois plus été évoquée.

Il est à noter que ce parti, fondé en 2006, reste cependant au-dessus de tous ses résultats antérieurs à 2023 (10,8% par exemple en 2021).

Le D66, « social-libéral », a cette fois bénéficié d’une ambiance politique jugée trop clivée par une partie des citoyens

Pour sa part, le D66 obtient le meilleur résultat de son histoire. Il est étiqueté social-libéral, ne cache pas son positionnement pro-européen, a pour modèle Barack Obama, et trouve la plus grosse partie de son électorat parmi les couches urbaines aisées et « éduquées ».

Il a probablement cette fois bénéficié d’une ambiance politique jugée trop clivée par une partie des citoyens, de même que du rajeunissement de ses dirigeants. A 38 ans, son chef Rob Jetten – au profil de « gendre idéal », et qui fut ministre de l’environnement (2022-2024) dans un gouvernement conduit par le libéral Mark Rutte – fait figure de possible futur premier ministre.

M. Rutte, qui dirigea le pays à la tête de coalitions durant quatre législatures successives, avait dû s’effacer en 2023 après que son parti libéral, le VVD, eut essuyé une large défaite (15,2%, – 6 points par rapport à 2021). Il est entre temps devenu secrétaire général de l’OTAN. Mais son ancienne formation a poursuivi son déclin en obtenant cette fois 14,2%.

13% de ses électeurs se sont tournés vers le D66, et une même proportion a rejoint l’Appel chrétien-démocrate (CDA), un vieux parti néerlandais qui conduisit jadis de nombreux gouvernements, et qui, avec 11,8% des suffrages (+8,5 points) semble retrouver une nouvelle jeunesse.

De son côté, l’alliance des travaillistes (PvdA, social-démocrate, qui obtenait encore 30% en 1982, et 25% en 2012) avec la « gauche verte » connaît une redoutable déconvenue, avec 12,7%, soit 3,1 points de moins par rapport à son score, déjà décevant, de 2023.

C’est un revers pour cette stratégie d’alliance entre ces deux forces – contre laquelle quelques cadres sociaux-démocrates s’étaient prononcés, craignant, à juste titre, de perdre au sein de l’électorat ouvrier – et une humiliation pour son leader, l’ancien vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans, connu pour avoir été l’orchestrateur du « Pacte vert ». Il avait quitté Bruxelles en 2019 avec l’objectif de prendre la direction du pays en 2023. Il subit donc un second échec en 2025, et a donc annoncé son retrait de la vie politique.

Au sein de la catégorie des perdants figurent également deux membres de la coalition sortante : le Mouvement agriculteur-citoyen (BBB, fondé en 2019), avec 2,7% (- 2 points) ; et le Nouveau contrat social (NSC, créé en 2023), qui, avec 0,4% des voix, disparaît de la Chambre basse.

Malgré sa déconvenue, M. Wilders peut se réjouir d’avoir plus que jamais imposé ses thèmes de campagne

Malgré sa déconvenue, M. Wilders peut se réjouir d’avoir plus que jamais imposé certains de ses thèmes de campagne. La plupart des partis ont admis que l’immigration massive constituait une forte préoccupation de beaucoup d’électeurs, et ont intégré des promesses de limitation dans leur programme

En outre, même le très mondialiste D66 a opéré une révolution « nationaliste » que certains ont baptisée « conquête du drapeau ». M. Jetten a ainsi déclaré : « il est important que les partis progressistes montrent également que nous pouvons être fiers de notre pays ».

La campagne a par ailleurs souligné l’importance des questions sociales pour beaucoup d’électeurs : pouvoir d’achat – dans ce pays qui tient la place de cinquième économie de l’UE et qui a l’un des plus forts PIB par habitant – mais aussi santé, et plus encore crise aiguë du logement à laquelle tous les partis promettent régulièrement de s’attaquer.

Les eurocrates auraient tort de se réjouir trop vite

Et maintenant ? Le mode de scrutin, la proportionnelle intégrale sans seuil minimum, assure la plus juste représentation de toutes les sensibilités politiques. Mais elle aboutit à une chambre extrêmement fragmentée, où quinze listes ont des élus. Cela impose des alliances à trois, quatre, voire cinq partis, pour former un gouvernement, et donc des négociations dans les coulisses qui durent des semaines, souvent des mois.

Plusieurs dirigeants politiques ont exclu toute nouvelle alliance avec M. Wilders. L’initiative revient désormais au D66. Celui-ci va probablement solliciter les libéraux du VVD ainsi que les chrétiens-démocrates du CDA. Il faudra trouver un ou deux partis supplémentaires pour atteindre la majorité au sein des 150 députés.

Du côté de Bruxelles, on a probablement poussé un soupir de soulagement en constatant que les « populistes » sont en recul, après avoir assisté au triomphe de ces derniers en République tchèque début octobre.

Les eurocrates auraient cependant tort de se réjouir trop vite. Ils avaient déjà eu des sueurs froides en 2010, lorsque le PVV avait créé la surprise en obtenant 15,4% des suffrages. Puis, en 2012, le parti était tombé à 10,1%, ce qui avait immédiatement amené la presse mainstream du Vieux continent à marteler triomphalement que l’UE avait à nouveau le vent en poupe un peu partout… La suite les a fait déchanter.

Au Pays-Bas en particulier, un fort courant anti-système existe depuis plus de deux décennies, et se traduit notamment par beaucoup de défiance vis-à-vis de la poursuite de l’intégration européenne.

Il s’était en particulier exprimé par le rejet du projet de traité constitutionnel européen, quelques jours après le référendum français de mai 2005, avec un Non encore plus massif qu’en France. Onze ans plus tard, les Bataves, consultés sur le traité d’association UE-Ukraine, contrariaient à nouveau Bruxelles en refusant la ratification (un vote « consultatif » qui fut ensuite bafoué).

Cette tendance ne s’est nullement estompée. Mais, en concentrant sa campagne sur les problèmes migratoires, M. Wilders n’a pas été en situation de capitaliser sur ce thème.

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