Après un itinéraire politique pour le moins tourmenté, Raphaël Glucksmann a enfin trouvé un rôle à sa mesure. Il a en effet pris la tête d’un comité spécial de l’europarlement chargé de traquer et de pourfendre les « influences étrangères » qui menacent l’intégrité démocratique de l’Union européenne, et, partant, le fondement de nos sociétés libres.
On se souvient (ou pas, d’ailleurs) que le sémillant essayiste co-fonda, quelques mois avant les élections européennes de 2019, un groupuscule baptisé Place publique, avant de se voir offrir la tête d’une liste dans laquelle s’était fondu le Parti socialiste. Le résultat électoral fut brillant (moins de 6,2%), mais permit cependant à l’ancien conseiller du président géorgien déchu Mikheil Saakachvili d’être propulsé dans l’hémicycle de Strasbourg.
A propos de sa désignation, M. Glucksmann a modestement commenté : « l’ère de la naïveté européenne est terminée »
Le voilà donc désormais parti pour cornaquer une instance bien dans l’air du temps au sein des instances de l’UE. Et pour illustrer le tournant majeur dans l’histoire européenne que ses nouvelles fonctions inaugurent, M. Glucksmann a modestement commenté : « l’ère de la naïveté européenne est terminée ».
Son comité spécial, qui a commencé ses auditions le 23 septembre, a donc pour mission d’« évaluer le niveau des menaces, qu’il s’agisse des campagnes de désinformation, du financement des partis ou campagnes politiques, ou des attaques hybrides ». Pour ceux qui auraient des doutes sur l’ennemi non cité par son nom, il convient de rappeler que dans le lexique euro-atlantique habituel, le concept d’« attaque hybride » est un code convenu qui pointe exclusivement vers Moscou.
Cette précision géopolitique est sans doute utile pour ceux qui se conteraient de lire naïvement la « feuille de route » de ce comité d’un maccarthysme post-moderne. Celui-ci devra « examiner la transparence du financement des partis et des campagnes, vérifier les actions et les règles nationales (des Etats membres dans ce domaine) ainsi que les influences extérieures à travers des entreprises, des ONG ou des technologies ».
Qu’on se rassure. Les zélés eurodéputés emmenés par M. Glucksmann n’enquêteront pas sur les multiples canaux et ONG par lesquels l’UE elle-même organise, forme et finance la « société civile » de multiples pays (dont l’Ukraine et la Biélorussie, parmi tant d’autres) en vue de promouvoir des « révolutions colorées ». Ces financements, certes discrets, sont tout à fait officiels. Et pour la bonne cause. Ce n’est donc pas le sujet de nos fins limiers. Pas plus que ces derniers ne s’intéresseront – par exemple – à la French-American Foundation, ouvertement financée par les Etats-Unis, et qui vise à promouvoir dans l’Hexagone de « jeunes leaders », évidemment peu hostiles à l’esprit atlantique, et dont les heureux élus peuplent depuis un moment les plus hautes instances du pays.
Le Comité Glucksmann – si l’impétrant nous autorise ce charmant raccourci – s’occupera plutôt de « contrer les menaces hybrides, les cyber-attaques, la désinformation (…) de la part des pays malveillants ».
La fine équipe traquera également la cinquième colonne, ces ennemis de l’intérieur bien plus dangereux encore
Mais pas seulement : la fine équipe traquera également la cinquième colonne, ces ennemis de l’intérieur bien plus dangereux encore que les pourvoyeurs russes de novitchok numérique. Il s’agira en effet de repérer des campagnes « conduites par des organisations et des acteurs européens (…) susceptibles de nuire aux objectifs de l’Union européenne, ou d’influencer l’opinion publique afin de compliquer l’élaboration de positions communes » des dirigeants de l’UE.
Si les mots ont un sens, cela signifie que tous les adversaires du principe de l’intégration européenne tomberont sous le coup des investigations glucksmaniennes.
Et dans un an, le commando chargé de l’intégrité de l’UE rendra un rapport. Le nom de la rédactrice circule déjà : il pourrait s’agir de la Lettone Sandra Kalniete, qui fut successivement ministre des Affaires étrangères de son pays, puis commissaire européen, avant d’atterrir à Strasbourg. Dans un livre autobiographique, cette dernière écrivait par exemple : « mes parents n’ont pas voulu offrir d’autres esclaves au pouvoir soviétique, je n’ai eu ni frère ni sœur ». On le voit, Raphaël sera bien secondé.
Deux suggestions
Le travail du comité vient de débuter. A ce stade, qu’il soit permis de lui faire deux suggestions. D’une part, une enquête urgente s’impose quant aux sept élections législatives partielles qui viennent de se dérouler en France, les 20 et 27 septembre. Celles-ci ont été marquées par une abstention qui a oscillé entre 80 et 90%. Il s’agit à l’évidence d’une manoeuvre – hélas réussie – du Kremlin visant à saper l’expression démocratique dans l’Hexagone.
La seconde suggestion concerne le réseau Twitter, un des terrains privilégiés pour les complots ourdis par Moscou. La firme à l’oiseau bleu a, depuis le 7 septembre, gratifié le compte du journal Ruptures de la mention « affilié à un Etat, la Russie ».
Le comité s’honorerait – et œuvrerait à la salubrité publique – s’il pouvait enfin révéler les indices et preuves qui fondent une telle allégation.
On attend impatiemment.